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Perspective 2022
10 février 2020

Légitimité des urnes : un problème présidentiel 1/2

     Puisque ce blog est dédié à la course présidentielle de 2022, et puisque celle-ci n’en est qu’au déplacement des premières pièces sur le grand échiquier politique, je vous propose de prendre le temps de nous pencher sur un péril qui met en danger l’architecture institutionnelle du pays, rien de moins.

     De quoi s’agit-il ? En l’occurrence, d’un ressenti, général dans l’opinion publique, qui voudrait que les Présidents du XXIe siècle soient de moins en moins légitimes à exercer leurs fonctions au nom du peuple souverain. Si elle n’est pas récente, il convient de remarquer que cette mise en cause, éminemment personnelle, intervient de plus en plus tôt dans le cours du mandat. Or l’adoption du quinquennat a accentué la présidentialisation du régime politique français. Il s’ensuit une situation, fort dommageable pour le pays et, in fine, pour la société, où le représentant par excellence d’un pouvoir hautement démocratique, se retrouve dans une position inconfortable, malgré l’onction du scrutin majoritaire. Son état de grâce tient désormais  d’une réserve circonspecte, plutôt que d’une franche adhésion. Et le procès en illégitimité relève de sa personnalité autant que des actions qu’il entreprend (ou qu’il oublie de mener, d’ailleurs). La cause majeure de ce malaise se trouve dans le constat, terrible, que le vainqueur du scrutin présidentiel est considéré, de plus en plus souvent, comme "mal" élu.  

     Avant tout, remarquons que le problème de légitimité du pouvoir exécutif tient principalement au décalage croissant qui existe entre les engagements de campagne, ou les discours fondateurs d’une candidature, et la réalité des actes, une fois l’impétrant en situation d’exercer véritablement le pouvoir. Et si, hier encore, "le peuple" était un corps social sans mémoire, il n’en va plus de même aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux notamment. La digitalisation des informations et les moteurs de recherche font qu’il est désormais à la portée de tous d’accéder aux archives, d’en ressortir les petites phrases oubliées ou les positions anciennes qui décrédibilisent une volonté affichée ou la sincérité véritable de l’Homo politicus.  

     De plus, ce fossé entre les promesses politiciennes et la réalité de l’action publique n’a eu de cesse de se creuser, en largeur et en profondeur, par le jeu des surenchères à l’intérieur même de formations politiques, en panne de leadership naturel. A ce titre, le spectacle donné outre-Atlantique par les primaires du parti Démocrate est particulièrement révélateur du phénomène. En France, la course au "toujours plus", dans le cadre de primaires, fermées (accessibles aux seuls adhérents) ou ouvertes, a fini de déconnecter les candidats à la magistrature suprême avec les réalités objectives du terrain. Jusqu'à leur faire prendre, eux-mêmes, des vessies pour des lanternes ! Galvanisés par des trouvailles, inspirées ou plébiscitées par leurs sympathisants, ils surestiment largement leurs réelles capacités à influer sur le cours des choses, une fois élus. Quand bien même il y aurait une grande part de sincérité dans le discours, leurs engagements ne sont guère tenables par le seul fait qu’ils dépendent de bien d’autres choses que de leur seul bon vouloir de monarque républicain : lois constitutionnelles, réglementation supranationale (UE, OMC…), accords de partenariat, situation économique mondiale, tensions internationales, etc…

     Regardons ce qu’il en a été d’un Macron, européiste excessivement triomphant au carrousel du Louvre, et vite remis à sa place de simple "partenaire" par Angela Merckel au premier sommet européen du mois de juin 2017. On ne s’improvise pas impunément, sinon seul contre tous, du moins seul au-dessus de tous, comme le chantre d’une politique volontariste qui doit s’imposer aux autres pour assurer son propre succès ! Résultat : l’Europe politique est en panne, son économie en berne, le volet sécuritaire aux oubliettes et sa diplomatie conditionnée aux intérêts directs des constructeurs automobiles allemands ! Quand on a conditionné, peu ou prou, sa politique du rebond français à un renouveau de l’idée européenne, le compte ne peut pas y être !

     Quelques exemples pour illustrer cette flagrance du décalage qui mine la légitimité de l’exécutif :

- Le plus édifiant d’entre eux fut la fameuse "fracture sociale" de Jacques Chirac en 1995. Nul doute que le rad-soc corrézien était personnellement en adéquation avec la pertinence de ce concept qui rendait compte d’une réalité qu'il savait prégnante dans le pays. Mais en donnant les clés de Matignon au « meilleur d’entre [eux] » au RPR, il permit à Alain Juppé de ficeler des projets de loi qui s’inscrivaient à l’opposé du constat plébiscité par les électeurs. Ceux-là avaient oublié que l’aspect social avait été mis en avant par l’équipe de campagne pour marquer une nette différence avec le classicisme de droite, développé par le clan Balladurien. Une différence vite gommée  par les barons d’un RPR, soucieux de reprendre son credo libéral pur jus.  

- Si elle n’a pas eu toute latitude de développer son programme économique en raison de la crise financière importée de New-York, la droite Sarkozyste de 2007 aurait néanmoins pu décliner plus largement le volet sécuritaire du triptyque police-justice-défense. Or, au-delà des postures et des coups de menton, il n’y a rien eu de fondamentalement bouleversant en la matière. Ce fut, pour l’opinion publique, une erreur inacceptable de la part de l’ex-premier flic de France, laquelle n’a fait que contribuer au sentiment des français suivant lequel les partis dits de gouvernement se montrent incapables à prendre le problème de la délinquance à bras le corps et que la solution est sans doute à rechercher vers l’extrême-droite.

- Président « normal », François Hollande a opéré un virage à 180 degrés entre son discours belliqueux contre la Finance et ses mesures pro-business qui ont déboussolé son parti, au point de faire exploser ce dernier en vol. Le premier frondeur au Hollande 2014 était, en vérité, le François du Bourget de 2012. Aussi le seul tort du gestionnaire Hollande n’a-t-il pas été de mener une politique de relance de l’offre, avec un accent plus particulier porté sur l’innovation et sur la compétitivité des entreprises. Les bons chiffres (relatifs) de l’économie française des années 2017/19 sont grandement imputables à ce tournant 2014/2016. Non, son erreur fut de croire que son socle électoral – et/ou les députés qui en étaient directement issus – suivrait son changement de pied sans broncher, alors même que son socialisme à la française écrasait la population de gauche sous les impôts et les taxes !

     

     Il faut beaucoup de pédagogie pour expliquer aux citoyens qui vous ont porté au pouvoir les raisons objectives pour lesquelles les priorités budgétaires doivent être modifiées, ou pour justifier que les objectifs assignés durant la campagne électorale doivent être revus à la baisse. Il faut aussi beaucoup de force de conviction pour faire comprendre que l’on reste compétent à faire, même si la criante inadéquation des promesses avec la réalité de la situation tend à prouver soit un méchant amateurisme pendant la période de préparation pré-électorale, soit une ambition  dénuée de tout scrupule à mentir effrontément à ses électeurs. Pédagogie et force de conviction : deux traits de caractère qui ne cadrent pas très bien avec des personnalités issues, le plus souvent, de la technostructure. Alors la question de la légitimité se pose effectivement. Et cruellement.

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